PhiloPapy

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Logique parfaite.

Logique  : "Saturnin philosophe" ou "Saturnin, philosophe" (au choix : suivre Bison futé / ici, le croisement est une ",")
Disserter : un bon exemple de conduite d'un raisonnement.
Sérieux ou non ?
Virage un peu difficile au premier abord … mais on peut compter sur le co-pilote.
Lire un texte philosophique : pourquoi pas ?  Ce n’est ni une obligation, ni un drame … simplement un jeu …
Le texte suivant montre bien la difficulté de trancher, surtout quand l’outil « raisonnement » est employé d’une manière un peu retorse par l’auteur.
 
SATURNIN PHILOSOPHE
« Vous comprenez, la philosophie, elle a fait deux grandes fautes; deux grands oublis ; d'abord elle a oublié d'étudier les différents modes d'être, primo ; et c'est pas un mince oubli. Mais ça encore c'est rien ; elle a oublié c'qu'est le plus important, les différents modes de ne pas être. Ainsi une motte de beurre, j'prends l'premier truc qui m'passe par l'idée, une motte de beurre par exemple, ça n'est ni un caravansérail, ni une fourchette, ni une falaise, ni un édredon. Et r'marquez que c'mode de ne pas être, c'est précisément son mode d'être. J'y r'viendrai. Y en a encore un autre mode de ne pas être ; par exemple, la motte de beurre qu'est pas sur cette table, n'est pas. C'est un degré plus fort. Entre les deux, y a le ne-plus-être et le pas-encore-avoir-été. Chaque chose détermine comme ça des tas de nonnét' : la motte de beurre n'est pas tout c'qu'elle est pas, elle n'est pas partout où elle n'est pas, elle interdit à toute chose d'être là où elle est, elle a pas toujours été et n'sera pas toujours, ekcétéra, ekcétéra. Ainsi une infinité pas mal infinie de ne pas être. De telle sorte qu'on peut dire que cette motte de beurre est plongée jusque par-dessus la tête dans l'infinité du nonnête, et finalement ce qui paraît le plus important, ce n'est pas l'être, mais le nonnéte. Et l'on peut distinguer : y a ce qui ne peut être pac’que c'est contradictoire, la motte de beurre est une tuile. Et ce qui n'est pas sans apparaître comme contradictoire; la motte de beurre n'est pas sur cette table (tandis qu'elle y est). C'qui est curieux c'est que c'qu'est exprimé par une phrase comme ça : la motte de beurre est une tuile, ça appartient au nonnéte et pourtant ça est dans une certaine mesure, puisqu'on peut l'exprimer.
Ainsi, d'une certaine façon, le nonnête est, et d'une autre, l'être n'est pas. En plus de ça, l'être est déterminé par le nonnéte, il a pas d'existence propre, il sort du nonnéte pour y retourner. Quand la motte de beurre n'était pas, elle était pas ; quand elle ne sera plus, elle sera plus. C'est simple comme bonjour. Ce qui est c'est ce qui n'est pas; mais c'est ce qui est qui n'est pas. Au fond, y a pas le nonnéte d'un côté et l'être de l'autre.Y a le nonnéte et puis c'est tout puisque l'être n'est pas. Voilà où j'voulais en v'nir. Les choses existent, non pas par leurs déterminations positives, dans c'cas là é'n'existent pas, mais par la multitude infinie de leurs déterminations négatives. Et dans c'cas là é'n'sont pas. Ce qui fait, je l'répète encore un coup, que l'être n'est pas, mais que le nonnéte est.
Voilà. Avec ça, on peut aller loin, allez. Car rien n'existe. Il n'y a rien. Moi-même, je ne suis pas. On peut voir ça quantitativement, en quéque sorte. Vous comprenez le mot quantitativement ? Oui bien sûr v'z'étes instruit vous. Eh bien, voilà. J'peux dire : j'suis ceci, j'suis ceci, j'suis ceci, ekcétéra. Mais ça n'ira pas loin. De l'autre côté j'peux m'dire : j'suis pas ceci et alors ce ceci c'est tout l'univers actuel, passé et futur, c'est tout c'que j'aurais pu faire et qu'j'ai pas fait, c'est tout c'que j'aurais pu être et n'ai pas été, c'est tout c'que j'n'aurai pas pu faire ni être et que bien sûr j'ai pas fait ni été. En face de tout ça, qu'est-ce que je suis ? Rien. J'suis pas. Mais alors en tant que j'suis pas, je suis. Ça vous la coupe, hein ? C'est pas étonnant ? Attendez, j'ai pas fini. J'voudrais qu'vous me compreniez bien, l'être en tant que limité n'est pas. Et d'aut'part, il est difficile de ne pas accorder que ce qui n'est pas est d'une certaine façon. Turellement, c'est plus loin qu'la logique qu'on trouve tout ça. Et cependant, et cependant, ce qui est, est et ce qui n'est pas, n'est pas. Mais voilà, j'vais vous dire la vérité : c'qui est vrai, c'est la totalité, c'est pas une formule. Même l'ensemble de ces formules que j'vous répète encore un coup pour que vous vous les mettiez bien dans le crâne : l'être est, le nonnéte n'est pas ; l'être n'est pas, le nonnéte est ; l'être est, le nonnéte est.
L'être n'est pas, le nonnête n'est pas, qui toutes révèlent un aspect de la vérité; même ensemble, toutes les quatre é'n'révélent pas la totalité, puisqu'admettre qu'i'n'y ait que quat' formules possibles, ça s'rait admettre, primo une limitation et secondo la légitimité du principe de contradiction que justement on a dit n'êt' pas légitime quand' s'agit d'totalité. C'qui fait qu'la vérité est encore ailleurs.
- Dites donc, fit Narcense en baillant, vous n'allez pas m'parler de dieusse ?
- J'suis pas homme à prendre un bonnet de dentelle pour un feutre mou, s'pa? répondit Saturnin. »
R. Queneau : Le Chiendent
 
Que fallait-il comprendre de ce texte ? (sans ce prendre au sérieux plus que Sarturnin) Où veut-il en venir après son départ tonitruant : la philosophie « elle a fait deux grandes fautes » Il faut être fort pour vouloir par la suite défendre cette position.
Il se moque de la philosophie mais il s’en sert d’une manière très pertinente, très logique.
Après une lecture attentive et l’émission d’un certain nombre d’hypothèses, on devrait parvenir à l’interprétation suivante et relever le paradoxe du cheminement suivi par Saturnin dans son argumentation.
 
Voyons, en gros,  ce que voulait dire ce texte.
Même si ça peut paraître amusant, c’est un raisonnement conduit, malgré l’emploi d’un langage populaire pour faire croire qu’on n’y connaît pas grand-chose.
Il porte sur trois points : l’être / le non être / le langage.
Saturnin s’appuie sur des exemples comme il convient en philosophie et comme dans le vie si on veut faire comprendre quelque chose de difficile à un non initié.
•    L’être est (existe) : exemple : une motte de beurre ; je peux la
      voir, la toucher, la manger ; ça tombe sous le sens.
•    Mais en même temps, elle n’est ce qu’elle n’est pas puisqu’elle
ne peut pas être une tuile, un édredon. (ça se complique et l’interlocuteur commence à de faire piéger.)
•    Donc son existence (son être) finit par correspondre à son non être (« nonêt ») puisqu’on ne peut pas définir l’un sens l’autre : ce qu’elle est ET ce qu’elle n’est pas.
•    Même si on voulait affirmer qu’elle est ou n’est pas une motte de beurre,  le fait de dire et d’écrire cela, négativement ou affirmativement, l’a fait exister.
•    Donc elle est et elle n’est pas. L’interlocuteur commence à tourner en rond s’il ne perçoit pas que tout tourne autour d’un emploi (abus) de langage : ne … pas /  et / ou. Le recours à des exemples n’est qu’un piège : la motte de beurre, ce n’est qu’un nom. Je n’ai d’ailleurs pas besoin de le connaître pour m’en servir à la cuisine, je ne vais pas mettre un édredon à la place.
•    En tout cas, Saturnin parvient à ses fins : les deux erreurs de la philosophie : l’être c’est le non être. CQFD.
Saturnin aurait pu aussi jouer sur la catégorie du lieu : la motte « est » là ou le « n’est pas » là
 Cette tirade est tirée d’une thèse philosophique  « l’Existentialisme » qui détermine deux modes d’être : l’être là (le Dasein, en allemand) correspondant à l’existence et l’être, l’essence. Cf. Le monde sensible et intelligible chez Platon, dans la Caverne et hors de … dans le Ciel des Idées.
 



01/02/2012
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